Acte I
Comptes d’apothicaire et testament
L’action se déroule dans une chambre de la demeure d’Argan, riche bourgeois qui se croit malade et s’est livré aveuglément aux médecins. Seul dans sa chambre, il revoit le mémoire mensuel de son apothicaire, M. Fleurant : en homme pratique et conscient de ses intérets, il en modifie les chiffres et les totaux, mais en « malade imaginaire » constate avec inquiétude qu’il a pris, ce mois-ci, moins de médecines et de lavements que l’autre. D’un premier mariage, Argan avait deux enfants, Angélique et Louison. Angélique paraît et s’entretient avec Toinette de ses tendres sentiments pour Cléante ; Argan informe sa fille de son projet de la marier. Naîvement Angélique croit qu’il s’agit de Cléante et accepte avec bonheur. Mais il s’agit d’un malentendu : Argan parle en fait d’un médecin, fils de médecin, Thomas Diafoirus, neveu de M. Purgon, médecin personnel d’Argan. Toinette prend la défense d’Angélique. Mais Argan veut un gendre qui soit médecin, et se met en colère. Elles sortent. Paraît alors Béline, seconde femme d’Argan, qui apaise son mari, semble l’entourer de soins, et lui annonce la venue du notaire, qu’il a fait chercher pour rédiger son testament. Monsieur de Bonnefoi, le notaire, est un fripon dévoué aux intérets de Béline, qui n’a épousé Argan que pour hériter et qui voudrait voir Angélique et Louison dans un couvent. Mais Toinette a surpris la conversation et promet à Angélique son appui.
Acte II
Réceptions et querelles de famille
Cléante s’introduit dans la maison comme envoyé du maître de musique d’Angélique. Accueilli avec une surprise mal dissimulée par celle-ci, il est présenté par Toinette à Argan, qui le convie aimablement au prochain mariage de sa fille. Mais Voici Cléante contraint d’assister à la réception du prétendant, Thomas Diafoirus, et de son père. Après les compliments d’usage et l’éloge de Thomas, ridicule et hébété, par son père, Argan en l’absence de Béline, prie Cléante de faire chanter Angélique. Les deux amants, sous le couvert d’un prétendu « opéra », se disent leur amour et leur inquiétude ; mais Argan découvre la supercherie et chasse Cléante. Argan acceuille Béline et ordonne à Angélique de donner la main à Thomas. Elle refuse, Béline l’attaque et Angélique dit nettement son fait à sa belle mère. Argan dit à sa fille de choisir entre Thomas et le couvent. Après une consultation, les Diafoirus prennent congé. Beline informe Argan de la présence de Cléante dans la chambre d’Angélique. Argan interroge Louison. (Béralde fait venir un divertissement pour distraire son frère, Argan.)
Acte III
La médecine se fâche et pardonne
Béralde tente de raisonner son frère sur sa prétendue maladie et le met en garde contre les médecins. Argan ne veut rien entendre mais renvoie pourtant le lavement qu’apportait M. Fleurant, et aussitôt s’entend maudire par M.Purgon, qui déchire la donation faite en faveur de son neveu. Béralde réconforte Argan, effondré, lorsque s’annonce un Médecin. C’est Toinette, déguisée, qui tent de le dégoûter de la médecine. Pour détacher Argan de l’influence de Béline et le réconcilier avec sa fille, Toinette et Béralde le poussent à contrefaire le mort. Il apprend la duplicité et la noirceur de sa femme (qu’il chasse), l’affection et la tendresse d’Angélique et la noblesse de caractère de Cléante. Il consent au mariage des amoureux et, sur le conseil de Béralde et Toinette, accepte de recevoir la robe et le bonnet de docteur, c’est la fameuse « cérémonie » finale en latin « macaronique ».
Analyse des personnages
Argan se situe au centre d’un triangle, dont les sommets seraient occupés par trois tendances opposées : un homme remarié aveuglé – un malade imaginaire égoïste – un bon père. Il a sans doute été, lors de sa première union, un bon père et un bon mari. Il ne veut pas mettre ses filles dans un couvent, est très tendre avec Louison et devant sa fille et son futur gendre au désespoir de le voir mort, il dit : « N’aie point de peur, je ne suis pas mort. Va, tu es mon vrai sang, ma véritable fille, et je suis ravi d’avoir vu ton bon naturel ». Cet hypocondriaque, coléreux et plaintif, n’est pas méchant. Il est même « bon naturellement », il n’a qu’un tort, c’est de se croire malade. Il est sincèrement angoissé, une peur panique qu’il éprouve à l’idée d’être privé de médecin et de médicaments. Peut-être, plus profondément, est-ce une terreur de l’abandon. Les maux dont il se plaint ne sont au fond qu’un moyen, devenu inconscient, pour forcer l’attention affectueuse d’autrui.
Angélique, sage et jolie, fraiche et ardente, honnête et fière, plus affectueuse avec son père que les enfants des autres comédies de Molière, plus capable aussi de défendre son bonheur. C’est la première victime de la folie de son père et de l’hypocrisie de sa belle-mère. Sa tendresse tempère l’exubérance et la cruauté de la pièce. A la fois passionnée, lucide et courageuse, elle affronte l’égoïsme de ceux qui l’entourent avec une fermeté et une finesse naturelle.
Louison, 8 ans, l’âge d’Esprit Madeleine, la fille de Molière, gaie et souriante, n’abandonne sa poupée que pour grimper sur les genoux de son père. Il y a dans l’étude du comportement de cette petite fille, une justesse d’observation merveilleuse.
Béralde, l’excellent frère, l’homme de bon sens, est un personnage rassurant et sympatique. Sans illusions sur les hommes, mais qui croit en la jeunesse et qui prêche l’obéissance aux lois de la nature. En dénonçant les abus de la faculté et les dangers du charlatanisme, il semble être le porte-parole de Molière.
Cléante est l’amant d’Angélique. Il est généreux, sincère et ardant. C’est le type même de l’amoureux chez Molière.
Toinette est entièrement dévouée à Argan, elle le soigne et tente de le protéger. Inquiète du remariage d’Argan, elle a flatté Béline pour sauver le bonheur des deux enfants et de son maître. En elle, la tendresse et la gaieté s’allient au courage, la générosité et la malice à la résolution. C’est la plus endiablée des soubrettes du théâtre moliéresque. Son exubérance, son goût pour les batailles, ses lazzi et ses déguisements sont d’un personnage de la comédie italienne. Son rire éclate entre les répliques. Elle met au service de ceux qu’elle aime, les ressources de son esprit inventif, ce qui lui donne une bonne occasion de se gausser de ceux qui lui déplaisent. Volontiers sentencieuse, toujours ironique même dans ses emportements, elle donne à la pièce son mouvement et sa gaieté.
Ces cinq personnages représentent la sincérité, l’affection et le bon sens.
Contre cet aspect d’Argan et ce clan sympathique vont se dresser les deux clans de l’hypocrisie et de l’intérêt. Argan est aveuglé par l’égoïsme de son corps, il est entièrement soumis et abandonné aux prescriptions des médecins.
Mr. Diafoirus est infatué de lui-même et de son art. Le nom de Diafoirus est formé de la plus savante manière : un préfixe grec, un radical français à consonance rabelaisienne et d’une désinence latine. Il est médecin et en même temps le père de Thomas et son amour paternel se confond curieusement avec l’amour de la médecine. La médecine l’émerveille à travers son fils, elle est pour lui une religion dont il a pour mission de conserver les rites. Ce personnage est une caricature poussée des médecins imbéciles du temps de Molière, dont l’unique préoccupation était une fidélité de plus en plus aveugle et de plus en plus étroite à une science morte.
Thomas Diafoirus est le plus fin portrait de l’imbécile qu’on puisse imaginer, innocente victime d’une certaine pédagogie. Il est l’auteur d’une thèse contre les « circulateurs », c’est-à-dire qu’il refuse d’admettre la découverte capitale de son temps, la circulation du sang.
Mr. Purgon est cupide et hypocrite. Il devine qu’il va perdre son meilleur client, sa colère ne connaît plus de bornes et il déverse sur Argan le torrent de ses sinistres prophéties. Béralde le décrit merveilleusement : « C’est un homme qui croit à ses règles plus qu’à toutes les démonstrations des mathématiques (…) Il ne lui faut point vouloir mal de tout ce qu’il pourra vous faire : c’est de la meilleure foi du monde qu’il vous expédiera, et il ne fera en vous tuant, que ce qu’il a fait à sa femme et à ses enfants, et ce qu’en un besoin il ferait à lui-même. » C’est bien ainsi que Molière, usé par la maladie et parvenu au terme de sa vie, voyait toute la corporation des médecins.
Mr. Fleurant, cet apothicaire, la seringue à la main est le fidèle exécuteur des ordonnances de Mr. Purgon.
Au Danger que représente ce clan il y a un remède : qu’Argan se fasse médecin ! Car bien nourri par Toinette, bien conseillé par Béralde, choyé et aimé de ses filles et de son gendre, il mènera une vie paisible et heureuse.
Béline par contre est plus dangereuse, elle représente l’hypocrisie du cœur. Elle apparaît trois fois : Inquiétante tout d’abord, aux petits soins pour son mari dont elle entoure littéralement le fauteuil de son agitation faussement dévouée, tout en guettant la porte du petit cabinet où son notaire attend l’instant propice ; puis la voici toisant le ridicule prétendant, et, soudain, dressée, toutes griffes dehors, face à la clairvoyance d’Angélique, dont elle jure de se venger et qu’elle vient dénoncer quelques instants plus tard ; la voici enfin devant son mari prétendu mort. Alors, sans perdre un instant et sans s’attendrir, elle ne songe qu’à profiter de la situation et à obtenir tout ce qu’elle guette depuis des mois. C’est la seule femme mariée, des pièces de Molière, qui soit aussi odieuse, avec une âme aussi noire et aussi inquiétante.
Mr. Bonnefoi, le notaire, est un escroc professionnel.