Cette nuit d’été, c’est celle de la Saint-Jean, celle où l’on célèbre le solstice d’été.
Depuis la nuit des temps on allume de grands feux de joie pour rendre hommage au soleil.
Au Moyen Orient, on honorait Tammuz, Dieu de l’abondance, des végétaux et du bétail. Chez les Celtes et les Germaniques, il y avait tout un rite pour bénir les moissons et récolter les herbes guérisseuses. Cette fête païenne et agraire marque un moment de connexion avec la nature, avant que la lumière ne commence à décroître. C’est donc une fête solaire et c’est pourquoi elle est placée sous le signe du feu.
Au Moyen Âge des feux étaient allumés sur les chemins et dans les champs, pour empêcher que les sorcières et magiciennes n’y passent ; on y brûlait parfois des herbes contre la foudre, le tonnerre, les orages et l’on pensait écarter par ces fumigations les démons et les tempêtes.
Aujourd’hui, c’est une nuit de fête populaire.
Les feux que l’on allume sont une occasion de se réunir, de chanter, de danser, et de sauter au-dessus des flammes auxquelles on prête des vertus magiques : purification et protection vis-à-vis des maladies, des sortilèges et autres fléaux… Et pour les amoureux, on raconte que le fait de sauter par-dessus le feu garantit que l’amour dure toute l’année.
C’est une nuit de fête, les banquets sont dressés, on embrase le bûcher, on danse, on boit et on chante autour du feu, comme pour exorciser la magie, la sorcellerie. Quelle est donc cette magie qui attire et effraie en même temps ?
Pendant la nuit de la Saint-Jean, on dit que les fleurs acquéraient des vertus magiques et que les hommes se trouvaient inexplicablement pris de folie. Pour Shakespeare, cette folie est une folie amoureuse : la folie du désir.
Et si cette nuit était là comme pour révéler une partie de nos instincts primaires? Comme pour faire la lumière, l’espace d’une nuit, sur notre part d’animalité refoulée ? Comme pour nous démasquer derrière le vernis de nos conventions amoureuses ?
La nuit est porteuse de fantasmes, et les fantasmes sont le reflet de nos désirs enfouis. Le fantasme est un scénario mental qui puise dans l’imaginaire sexuel et collectif pour inventer des personnages, des décors, des accessoires, des scripts érotiques.
Le fantasme est un muscle que Shakespeare sait entretenir, nourrir, enrichir.
Les rêves libèrent et autorisent les interdits.
Titania tombe amoureuse d’un âne, Héléna veut être la chienne de Démétrius, le quatuor amoureux s’avère échangiste et les amoureux sont interchangeables, Thésée et Hyppolita se donnent en spectacle dans une relation esclave/maître, …
Les songes nocturnes ont donné toute licence à la frénésie des désirs.
Ce « désordre amoureux » n’aura duré qu’une nuit. Le matin, tout rentrera dans l’ordre et il y aura une fin heureuse. Mais cette nuit, théâtre des passions fantasmées, aura servi en quelque sorte de catharsis pour tous les personnages du songe. Et s’il en allait de même pour les spectateurs… ?
Si le Songe d’une Nuit d’Été est une comédie érotique, elle offre aussi un prisme intéressant pour analyser les mœurs d’une société machiste et patriarcale.
L’action se situe à la cour d’Athènes.
La cour d’Athènes est une meute, un clan qui a ses propres lois.
La brutalité y est monnaie courante.
Thésée apparaît comme le chef du clan, un genre de dictateur qui incarne ici le pouvoir personnifié en installant un système patriarcal et paternaliste.
Très vite on se rend compte que ce qui nous est proposé ici c’est une vision du monde où règne l’ordre masculin sans aucune contestation possible, un univers machiste et une vision stéréotypée de la femme.
La dénonciation de ce système autoritariste et phallocrate commence avec la capture de la reine des amazones, Hippolyte, que Thésée brandit comme un trophée et dont il compte bien abuser à son gré ; puis par une démonstration de force du père, Égée, et du roi, Thésée, face à̀ la douce Hermia :
« Réfléchissez avec soin, belle jeune fille. Pour vous, votre père doit être comme un dieu, c’est lui qui a pétri votre beauté́, pour lui vous n’êtes rien d’autre qu’une forme de cire où il a imprimé sa marque, et dont il a le pouvoir de sauvegarder l’image ou de la défigurer.»
Le message est clair : Aimez dans l’ordre ou mourez !
Mais ceux-ci sont trop jeunes pour penser à̀ mourir ou s’en tenir à̀ un avenir menacé où le mépris du corps vivant règne.
Ces jeunes pourraient se taire, mais Hermia décide de fuir cette société qui l’empêche de s’épanouir et qui nie son existence. Sa fuite, sa voix, son obstination, son rêve font d’elle une figure de l’émancipation.
Sous ses allures de comédie, Le Songe d’une Nuit d’été est aussi une pièce extrêmement politique qui résonne particulièrement aujourd’hui ; les questions de genre et de discriminations irriguent le texte :
Qu’est-ce qu’un couple d’aujourd’hui ?
Quelle place occupent hommes et femmes au sein de la relation amoureuse ?
Quelle place occupent hommes et femmes dans le vivre ensemble ?
Comment repenser la notion de genre dans la perspective d’une lutte globale contre les inégalités ?
Pourquoi est-ce que les questions où le sexe est impliqué sont, plus que d’autres, génératrices de peurs et de fantasmes ?
Pourquoi sommes-nous prisonniers de constructions culturelles qui assignent aux hommes et aux femmes des différences, des qualités, des goûts, des rôles, des compétences, des modes d’expression « différents » ?
Ne sommes-nous pas prisonniers d’une vision réduite en ce qui concerne les attributs du masculin et les attributs du féminin ?
Toutes ces questions seront là en filigranes et iront de pair avec un questionnement sur le théâtre lui-même, ses codes et standards de représentation.
La nuit inspire ou libère.
La nuit est un miroir dans lequel les vérités se travestissent.
Et c’est ici que la marionnette devient intéressante car elle permet des lectures plurielles d’une même situation.
Qu’advient-il si l’on inverse les genres des manipulateurs ?
Si la figure du Thésée machiste est jouée par une femme et la figure de la Reine des Amazones par un homme ?
L’inversion des genres chez les manipulateurs.trices offre alors une vision beaucoup plus complexe et trouble de rapports masculin/féminin.
Se proposent alors trois lectures simultanées : le jeu entre les archétypes (Thésée et la Reine des Amazone), le jeu entre les manipulateurs.trices et leur marionnette, et le jeu entre les manipulateurs.trices.
Les frontières se brouillent entre le masculin et le féminin, les concepts d’homosexualité et d’hétérosexualité se confondent pour offrir une vision plus proche de ce que l’on nomme aujourd’hui la pansexualité (orientation sexuelle caractérisant les individus qui peuvent être attirés, sentimentalement ou sexuellement, par un individu de n’importe quel sexe ou genre).
Dans ce grand chaos nocturne, le visible flirte avec l’invisible, le réel avec l’illusion, le rêve avec le cauchemar, la farce avec la gravité, l’ordre avec le désordre, le désir avec l’amour.
A travers cet univers fantasmatique, Le Songe d’une nuit d’été́ revendique pour chacun la liberté́ absolue. Shakespeare replace ici la réalisation de ses désirs et de son être au centre de la vie.
La lune appelle au fantasme et invite à l’interdit et à sa transgression.
Alors à nous de mettre en scène les philtres, les fées, les métamorphoses, les illusions et la course folle du désir jusqu’à̀ la confusion la plus totale ;
Mettre en abîme la fabrication du théâtre ;
Transgresser les interdits,
Bousculer les concepts masculin/féminin,
Inviter les spectateurs à la fête,
Pour que cette nuit devienne l’espace de tous les possibles…