Rencontre professionnelle avec Dominique Serron

IPHIGENIE AGAMEMNON ELECTRE / Tiago Rodrigues

LA FABLE

Partie 1- IPHIGENIE / Le commencement – Calme plat à Aulis de la mer. Agamemnon, le roi a rassemblé une armée démesurée, avec la volonté de rapatrier Hélène, l’épouse de son frère Ménélas, emmenée à Troie par Paris, son amant ravisseur. Malheureusement, il n’y a pas de vent. Impossible de naviguer vers Troie. L’oracle a parlé: si on veut le vent, Iphigénie, la fille d’Agamemnon et Clytemnestre, doit être sacrifée. Pour ramener sa fille et son épouse à Aulis, le Roi va alors user de ruse: il expédie une missive qui annonce en urgence le mariage d’Iphigénie avec Achille. Le subterfuge sera rapidement découvert. Clytemnestre raisonne, implore, menace. Achille, lui, tente d’agir mais la politique prend le dessus sur l’intime et l’affect. Iphigénie, après un vain réquisitoire décide de mourir avec la dignité d’une héroïne. Iphigénie morte, le vent se lève. 

Partie 2- AGAMEMNON / La suite – Dix ans plus tard, agitation au palais d’Argos. Une fête se prépare en l’honneur d’Agamemnon, le vainqueur de Troie fatigué qui rentre enfin de dix ans de voyage. Il apporte à Argos une proie de guerre : Cassandre, la fille de Priam le Roi de Troie, qui possède un don de prophétie que personne pourtant ne lui reconnait. Clytemnestre, l’épouse d’Agamemnon, blessée à jamais, a écarté du foyer familial, Oreste et Electre ses deux autres enfants. Elle y écoule, désespérée, une existence d’excès avec Égisthe son cynique amant. Sous le prétexte de venger la mort de sa fille, Clytemnestre et Égisthe ont décidé ensemble d’écarter l’homme, le père, Agamemnon de sa famille. Ainsi, Clytemnestre et son amant Égisthe tuent sauvagement Agamemnon dans son bain. Cassandre, témoin divinatoire, mourra elle aussi, percée du couteau d’Egisthe. C’est le brouillard. 

Partie 3- ÉLECTRE / La fin – Bien plus tard, dans une mystérieuse forêt, aux alentours d’Argos. Électre et Oreste se retrouvent et se reconnaissent comme par magie. Le frère et la sœur sont devenus des adultes, ils ne se connaissaient pas. Oreste a été contraint à l’exil. Électre a été refoulée, mariée à un pauvre laboureur. Électre porte en elle la violence de toutes les souffrances héritées. Elle veut se venger ! Oreste est miraculeusement de retour. Ensemble, le frère et la sœur, soudés comme jamais, désirent honorer leur histoire en tentant de se délester du poids du passé en vengeant leur père. Oreste tue Égisthe. Électre et Oreste tuent leur mère, Clytemnestre. Électre se croit heureuse, comme ivre de son acte. Oreste tombe dans une obscure mélancolie. Un vide de sens qui ne présage rien de bon, brouille son âme. Le vent à nouveau se lève.

Le pitch : Le père sacrifie sa fille pour la guerre, la mère brisée de douleur prend un amant et ensemble ils tuent le père, les enfants vengent leur père et tuent leur mère et son amant! A suivre… 

Ce que le texte nous dit : Les récits qui nous constituent méritent notre attention. Celui, terrible, du sacrifice d’Iphigénie qui aura  apporté « le vent », attendu par les décideurs politiques,  engendrera aussi la guerre de Troie, la réciprocité et l’héritage  incessants de la violence et ce, jusqu’à celle que nous subissons aujourd’hui. La mémoire des faits mais aussi celle du théâtre est appelée dans le texte. Se souvenir est l’effet requis au théâtre pour exister et raconter. Il faut faire l’effort de mémoire! Peut-être  que nous ne nous souvenons pas assez ? Ou que nous négligeons trop le souvenir des histoires qui, pourtant, forment nos esprits à la compréhension de l’Histoire ! 

Ne sommes-nous pas franchement d’accord que nous avons un besoin hurlant de changement ? Continuer à détruire la terre qui nous porte n’est peut-être pas une fatalité ! L’humain peut se reprendre et s’affirmer capable de changement. Seulement, pour changer, il faut apprendre à changer et cette dimension de l’être ne figure pas spécialement dans nos éducations. Ainsi, par l’activité consciente ou inconsciente, la disposition à créer nous forme à cette double aptitude indispensable à l’existence humaine : changement et invention.

Le conte engendre un exercice mental par la force du dénouement, l’arabesque du langage, la métamorphose du corps pensant, l’acceptation de la finitude ou encore l’accès au merveilleux. Tous ces éléments invitent à la modification et à la création ! L’acte poétique réside dans une capacité de désobéir avec grâce à ce qui resterait cristallisé dans l’injonction de l’impossible.

La Médiation : relier le mythe au vécu. La volonté de donner au plus grand nombre et spécifiquement à la jeunesse, le meilleur de la culture par la mise en jeu, la fantaisie de la création et l’accessibilité à la grande littérature, s’inscrit comme un objectif fondamental pour la compagnie. Dès le début de l’année 2024 ont commencé les lectures-débats de Dans la Mesure de l’Impossible, pièce du même auteur, ainsi que la mise en place d’ateliers-rencontres. En menant une série d’entretiens avec des personnes engagées dans l’action humanitaire, Tiago Rodrigues en a tiré un projet intimiste mais universel qui rend compte des désastres collectifs nous amenant par ce chemin au seuil de nos guerres. Pour nourrir cette conscience de l’héritage et de la douleur, nous choisissons Dans la mesure de l’impossible comme chemin de médiation pour aller vers Iphigénie, Agamemnon et Electre.