Au printemps 2018, Brecht écrivait à un ami :
« Je voudrais écrire une pièce sur François Villon qui fut au quinzième siècle assassin, brigand, chansonnier et poète ».
On peut lire la pièce à travers ce prisme : un intense dialogue avec la vie non seulement de Villon mais aussi de Rimbaud et de Verlaine. Avec en perspective sa propre existence.
Baal est sans doute le texte le plus personnel de Brecht. Un texte de jeunesse que l’on passe sa vie à remanier, sans jamais en être totalement satisfait. De quoi ça parle ? On pourrait dire en un mot : de l’appétit. Appétit du monde , qui ne s’exprime pas tant par l’histoire racontée que par la puissance verbale et par la présence du corps humain et du paysage.
Cet appétit du monde fait penser à la quête faustienne , mais une quête détournée, renversée qui ne débouche pas sur la création mais sur la décomposition. Le poète Baal consomme le monde.
La pièce s’appelait à l’origine : » Baal bouffe! Baal danse!! Baal se transfigure!!! » Baal, qui avait jusque là mené une vie résignée d’employé aux écritures, se rebiffe tout à coup pour ses trente ans.
Poète dans l’âme, il s’identifie à François Villon, tant pour ses fulgurances inspirées que pour sa vie de mauvais garçon. Mais Baal n’avait pas encore osé franchir le pas et rompre avec sa routine. Il le fait avec éclat à la fin d’un dîner chez son patron où il a été prié de lire ses vers devant une brillante assemblée. On acclame son génie. On veut le sortir de sa médiocre condition. Mais Baal bâfre et boit à outrance, sans les écouter. Puis, il lance » J ‘en ai rien à foutre ! « , suivi d’une bordée d’injures et de gestes obscènes. Le point de non retour a commencé.
Son errance va le mener de désastres en désastres. La bête immonde qu’il cherche en lui est une bête personnelle et métaphysique qui le pousse à commettre des actes odieux. En un choral et 27 courtes scènes , Baal se décompose.