« L’éveil du printemps »
Sur un plateau nu, peut-être en terre battue, un peu comme une place de village, 14 interprètes. Quelques lampions, un petit groupe fait des covers sur une estrade instable. Les spectateurs entrent. Nous n’y jouons pas encore les personnages. Nous sommes nous-mêmes. Puis, une fiction s’installe… sans que nous la voyions venir, dans un crescendo intense et physique.
Un espace unique lyrique et organique, mutant comme les adolescents et comme le temps.
L’Eveil du printemps écrit en 1891 décrit bien un état de mutation, celui si particulier où l’enfant se mue en adulte. Sous-titrée « tragédie enfantine », les questions qui y sont soulevées sont celle de la Vie, la sexualité, le désir, le bien et le mal, la religion, la morale et la mort. La pièce aborde sans tabou la violence, le suicide, le viol, l’homosexualité, la masturbation, l’échec, la peur… et cette grande affaire que d’être adulte et responsable. Mais sans en devenir une pièce à thèse, elle garde de bout en bout une forme d’humour, d’ironie y compris dans ses moments les plus dramatiques.
L’Eveil du printemps avance en tableaux à la fois successifs, parallèles et parfois concomitants. Melchior, Wendla, Moritz, Ilse, Martha, Hans, Théa, Ernst ! Martha prie pour qu’on ne la batte plus, tandis que Wendla rêve de connaître la douceur du fouet. Au soleil couchant, deux jeunes garçons s’embrassent, ils se projettent dans l’avenir, Hans se verrait bien millionnaire, Ernst, pasteur avec femme et enfants. Moritz avoue son ignorance quant aux « mystères de la vie », Melchior s’improvise professeur d’éducation sexuelle. Ilse est depuis longtemps passée de la théorie à la pratique, mais déjà, elle regrette la douceur des goûters d’anniversaire.
L’Eveil du printemps suit les errances, les questionnements, les emballements, les désillusions et les angoisses d’une douzaine d’adolescents dont les histoires s’entremêlent, d’une vingtaine de figures adultes (parents, professeurs, docteurs, pasteur, recteur…) et d’un personnage abstrait, l’Homme Masqué, représentant la vie, dans ce qu’elle a d’informe, de pulsionnel, d’asexué et d’anonyme. Elle fait à peine « Théâtre » tant les scènes qui la compose capte la vie.
Avec ses 14 interprètes (12 comédiens et 2 musiciennes live), Armel souhaite en faire un spectacle qui nous nettoie et nous donne le goût d’être soi sans fard, quelque chose qui nous rappelle ce que c’est que respirer.
« Eddy Merckx a marché sur la lune »
Eddy Merckx a marché sur la lune, c’est un peu comme une soirée où 10 individus improvisent un film à vue. Un groupe qui est celui des acteurs vont s’emparer des rôles. Ils parlent en leur nom et au nom des personnages. Ils se distribuent les prises de paroles.Ils créent les personnages, les situations, avec flashbacks et chemins de traverse. Et à l’intérieur de ce grand fantasme collectif, ils expriment leurs peurs, leurs craintes, leurs doutes, leurs désirs, leurs pulsions, leurs nostalgies, leurs regrets, leurs humours, leurs énergies, et que cela donne un certain désenchantement du monde mais dans un bordel assez joyeux.
Eddy Merckx a marché sur la lune pourrait paraître sombre mais Jean-Marie Piemme réussit ce tour de force d’être toujours « en santé », délicat, drôle, et pertinent. A 72 ans, il livre une pièce d’une extrême jeunesse de pensée et d’énergie car si sa lecture de l’Histoire peut être amère, il n’évacue jamais le désir, ne rend rien irrémédiable, ne moralise pas ni n’accuse ni ne victimise. Il induit, parfois dit, souvent possibilise, et surtout tout le temps capte la vie comme une matière rugueuse, une terre meuble sans visage définitif.
Dans Eddy Merckx a marché sur la lune, on parle donc de la vie qui va, des vicissitudes de l’amour et de l’indécision, on y fait des rêves américains et des retours au pays natal, on s’engueule sur les révolutions ratées, les révoltes assoupies, et on danse sur les cendres de mai 68. Dans Eddy Merckx a marché sur la lune, on repense à ses parents, aux odeurs de l’enfance, on est nostalgique de quelque chose qu’on est pas sûr d‘avoir vécu, on crée la fête, on divague, on refait La Chinoise de Godard, on se déchire, on s’embrasse, on se quitte et on tente de se consoler, on meurt sous les tirs et on parle, on parle beaucoup pour se donner du baume au cœur. Dans Eddy Merckx, on vit.
Eddy Merckx a marché sur la lune sera une forme simple au plus près du spectateur, comme un corps amoureux qui vient se blottir et nous donne encore le goût d’être ensemble malgré les atrocités du monde.