Nous préparons un spectacle dont l’action se déroule dans un village fictif du Hainaut, s’étale sur huit décennies et aborde principalement la question de la mémoire collective, et conséquemment de l’identité spécifique, des habitant·es de Belgique francophone depuis la fin de la seconde guerre mondiale.
C’est l’histoire de Maria, née en 1927 et morte récemment, qui a vécu toute sa vie à Haumières, village fictif situé à quelques kilomètres de la frontière linguistique, à deux pas de la France et de l’Escaut, et, en parallèle à cette histoire de Maria et de ses proches (parents, enfants, amours, ami·es), c’est l’Histoire de la Belgique, ses événements politiques et historiques majeurs, dont Maria est témoin entre 1945 et aujourd’hui.
Une histoire en deux parties
L’histoire de Maria se raconte de 1945 à aujourd’hui, dans une fresque familiale qui inventorie la mémoire collective, ses figures historiques et ses événements marquants. Une histoire qui se raconte en deux temps distincts, qui sont aussi deux spectacles autonomes et complémentaires, que l’on peut présenter ensemble ou séparément :
Maria et les oiseaux – Histoires de Belgique – Partie 1 : 1945-1970 (2h30 environ)
Maria et les oiseaux – Histoires de Belgique – Partie 2 : 1970-2025 (2h00 environ)
La première partie correspond à la Belgique unitaire, avant la première réforme de l’État. Le récit y est linéaire. Un roi abdique et on entre joyeusement dans l’ère de la consommation. L’ancienne colonie est quittée dans le sang et on réalise en étoile un réseau d’autoroutes. Cette première partie court de 1945 à 1970 ; c’est la jeunesse de Maria, de ses 18 à ses 43 ans.
La seconde partie correspond aux grandes réformes qui ont fait de la Belgique un état fédéral. Le récit se fractionne, se multiplie. Des voix d’ailleurs se font entendre, on se remémore ensemble des événements marquants. Il y a des scandales et des marches, des coalitions laborieuses à mettre en place et des (menaces de) disparitions totales…
Au milieu de cette deuxième partie, l’événement majeur que constitue la proclamation d’indépendance de la Flandres (2006) fait basculer notre récit dans l’uchronie. Cette deuxième partie court de 1970 à aujourd’hui, jusqu’aux 96 ans de notre personnage principal.
Et durant tout ce temps, Maria travaille, écrit, vit des amours et des amitiés fortes, observe les oiseaux dans son jardin, leur parle parfois.
À travers huit décennies d’histoire politique et familiale, une femme d’ici regarde sa vie et son pays se transformer.
Les grands axes du projet
Ce que nous proposons ici est une fiction, prenant appui sur un matériau documentaire conséquent, qui inventorie le passé belge récent et explore comment le passage progressif d’un état unitaire à un état fédéral a pu influer sur l’identité (multiple) d’un peuple, le nôtre.
une fiction
Depuis notre création du Roman d’Antoine Doinel (d’après cinq films de François Truffaut), nous avons développé un goût et un savoir faire particulier pour les récits amples, où l’intrigue fait émerger de nombreux personnages suivis sur plusieurs décennies. C’est cette dimension romanesque que nous entendons ici mettre au centre de notre projet, à la fois pour le plaisir qu’elle donne aux spectateur·ices qui y assistent mais aussi comme premier rempart contre l’écueil du didactisme lié à notre ambition historique. C’est en racontant l’histoire de Maria et de ses proches, avec ses joies et ses douleurs, et en faisant d’elle le témoin direct des événements historiques, que nous éviterons toute position de surplomb pédagogique dans notre façon d’aborder l’Histoire au plateau. Porté par dix acteurices entourant Maria et cumulant chacun·e plusieurs rôle, notre récit se veut ludique, dynamique, émouvant. Sa bifurcation finale vers une uchronie assumée permet enfin de se détacher de l’Histoire pour ouvrir l’imaginaire et questionner l’héritage artistique en « carnavalisant » le réel.
un matériau documentaire qui inventorie le passé belge récent
L’écriture de ce spectacle repose à la fois sur une importante documentation historique (où les publications du C.R.I.S.P. occupent une place privilégiée) et sur l’utilisation d’archives sonores. Notre partenariat avec la Sonuma nous permet un accès privilégié à une série de documents audio-visuels. À travers tout ce matériau collecté, il s’agit bien de dresser l’inventaire de ce qui, consciemment ou non, a marqué et marque encore la mémoire collective. Cet inventaire inédit, porté par des personnages fort pris dans un récit romanesque, permettra un travail de médiation spécifique, en particulier à destination des publics scolaires.
le passage progressif d’un état unitaire à un état fédéral
Le processus de fédéralisation de la Belgique a ceci de particulier qu’il trouve son point de départ dans un désir de « désunion » progressive (et non de « réunion » d’entités distinctes comme c’est généralement le cas dans les autres états fédéraux). La Belgique a donc vécu ces dernières décennies le passage d’un état où le pouvoir s’exerçait de manière très
« verticale » à un état où le pouvoir s’exerce à différents niveaux, de manière plus éclatée. Nous souhaitons raconter ce passage particulier, dont la portée rejoint des enjeux contemporains majeurs, bien au-delà de nos frontières : les questions que s’est posée la Belgique ces dernières décennies (Comment faire avec l’Autre, ensemble ? Comment ne pas disparaître ?) sont celles auxquelles est confrontée toute l’Europe, voire l’Humanité entière…
l’identité (multiple) d’un peuple
Il s’agit bien ici de regarder la Belgique depuis le point de vue qui est le nôtre, celui de ses habitants francophones. Non par rejet de l’autre (le sentiment nationaliste nous est étranger et nous ne souhaitons en aucun cas le faire naître) mais bien plutôt par souhait d’honnêteté et désir de faire le récit de ce qui, par l’héritage historique, politique, économique, culturel et artistique, fait la spécificité des habitant·es de Wallonie et de Bruxelles ces dernières décennies, quelles que soient leurs origines. Si nous ne minimiserons pas la polarisation Flamands vs Francophones qui structure la vie politique du pays à bien des égards (plusieurs personnages flamands occupent des places importantes dans notre fiction), nous ne négligerons pas les autres antagonismes bien présents eux aussi (laïcs vs croyants, monarchistes vs antiroyalistes, capitale vs province…) et nous n’occulterons en aucun cas les traces profondes que la colonisation du Congo, du Rwanda et du Burundi, et les recrutements successifs de mains d’oeuvres étrangères dans nos industries (italienne, polonaise et marocaine aux premiers plans), ont laissé jusqu’à aujourd’hui dans les esprits et les corps.