Rencontre avec Rosa Matthis pour Heavenly Bodies – Cirque Barbette

Dans les précédentes créations de la compagnie, mon intérêt pour le corps humain a toujours été présent. Je suis fascinée par cette machine complexe : sa masse physique, son poids, ses organes, son fonctionnement et ses interactions. Le corps est pour moi un point de départ pour de multiples questionnements et possibilités. Heavenly Bodies poursuit cet intérêt. Ici, il s’agit des dynamiques parfois abstraites qui se déplacent entre les corps, qui nous traversent. Plus tangible est alors la peau, cet organe vaste qui constitue une frontière poreuse entre l’intérieur et l’extérieur. Une frontière, mais pas toujours.
Sur la peau, on peut poser des regards, des jugements ou des baisers. C’est différent avec les pensées : bien qu’invisibles, elles nous habitent. Qu’elles traversent la peau ou naissent à l’intérieur de nous, elles jugent, valorisent, et déterminent notre perception de nous-mêmes et des autres. De manière scientifique, on peut dire qu’elles proviennent d’interactions entre le cortex préfrontal, l’amygdale et le contact avec le monde. Mais quand les pensées tournent en boucle, comment les
arrête-t-on ?
Habiter un corps est une condition humaine; cependant, son utilisation et ses possibilités varient. Les politiques corporelles et les hiérarchies qui en découlent déterminent notre existence. Les corps témoignent des discriminations et des souffrances
dans un monde sévère. Mais aussi d’ingéniosité et résistance, d’humour. Avec ce spectacle, je souhaite explorer les jugements que nous portons sur nous-mêmes et les autres, et leurs impacts sur notre peau, notre dos, et notre intérieur. J’espère
créer un spectacle qui observe les normes impossibles de la société, tout en célébrant la beauté et la richesse que possède un corps, avec ses batailles et ses forces. Les artistes de cirque sont des experts en manipulations d’objets-corps. Pour ce
spectacle, je veux utiliser cette expertise pour mettre en scène le lien entre le mouvement et les émotions. Il ne s’agit pas de montrer des corps idéaux, mais des corps-savants, révélant à la fois leurs prouesses et leurs limites. Ce travail physique
et mécanique nous permettra aussi de poser la question : où termine un corps et commence celui de l’autre ?
Une ode aux corps contre les normes systémiques peut sembler naïve. Ici, le but n’est pas d’offrir des solutions, mais de prendre du recul et d’observer le corps humain d’un autre angle. De le déplacer hors du centre des événements. De le mettre en contexte avec son entourage et histoire. C’est essayer de toucher quelque chose quelque part ailleurs. La fleur d’une autre peau avec les bouts des doigts.