Il faut raconter d’autres histoires – et les raconter autrement – afin d’ouvrir dans nos imaginaires d’autres possibles.
Cette idée quand elle a surgi (grâce à quelques vieilles autrices soudain remises en lumière par une époque en quête d’espoir face au désastre) a eu un réel impact sur les gens qui font métier de la narration et elle est aujourd’hui largement répandue. Mais se charge-t-on vraiment de toute sa portée subversive ?
Christine Aventin propose un laboratoire de rumination autour des multiples questions de la SF – au sens pluriel que lui donne Donna Haraway : « SF as Sciences Fiction, Speculative Fabulation, Scientific Fact, String Figures, So Far ». Il s’agira d’explorer la SF comme ressources à spéculer, à imaginer, à problématiser et à représenter les enjeux qui nous importe, en suivant un motif qui partira de la science-fiction féministe pour aller à la queer fantasy en passant par l’afrofuturisme. Et pour cette traversée, elle emmène avec elle trois complices :
Anne Thuot à la mise en gestes / mise en états : pour composer des agencements, tramer des motifs communs et tenter de faire de nous, en une semaine, un corps collectif
Emma Lozano à la collecte de nos traces : pour archiver notre expérience et nous rendre capable au bout de la semaine d’en activer une mémoire collective
Mardi Forestier à la mise en mots : pour élaborer nos stratégies d’écriture afin de se doter d’une langue commune à haut potentiel d’inventions.
La fournisseuse des concepts et des outils sera Donna Haraway et ses prolongements dans la pensée d’Isabelle Stengers. Et quant aux fournisseuses de corpus narratifs et pratiques, nous ferons appel aux géniales romancières Octavia Butler (figure majeure de l’afrofuturisme) et Ursula Le Guin (inventeuse de l’utopie pragmatiste) dont nous suivrons ensuite quelques héritages contemporains ; nous croiserons notamment la route de l’auteurix non-binaire afroqueer Rivers Solomon.
Notre recherche utilisera les ressources et les moyens de la fabulation spéculative. Notre méthode sera celle des jeux de ficelles.
Un mot d’explication à propos de ces deux notions :
Pour Haraway, la « fabulation » n’est pas exactement la « fiction » dans le sens où la fiction tient de la création gratuite, ex nihilo, d’une histoire tandis que la fabulation, elle, “s’enclenche sous la pression d’une nécessité vitale ; c’est l’imagination qui travaille dans et depuis une situation réelle, qui en explore l’épaisseur pour y sécréter de nouveaux possibles.”
Jouer à des jeux de ficelles, c’est (toujours selon Haraway) « s’inscrire dans le jeu de qui donne et reçoit des motifs, en abandonnant des fils et en échouant, mais parfois en trouvant quelque chose qui marche, quelque chose de conséquent, peut-être même de beau et qui n’était pas là avant, quelque chose qui crée un relais de connexions qui importent ; c’est s’inscrire dans le jeu de raconter des histoires, les mains sur d’autres mains, les doigts sur d’autres doigts, des sites d’attachements sur et avec d’autres sites d’attachements. Les jeux de ficelles exigent que l’on se mette en état de recevoir et de transmettre – ce qui exige passion et action, immobilité et mouvement, amarrages et lâchers.”