L’évolution des connaissances en neurosciences cognitives n’ont jamais été aussi importantes qu’aujourd’hui. Le philosophe Gilles Deleuze aurait pu qualifier notre époque de riche. Ces connaissances capables de bouleverser notre représentation du monde et de nous-même restent pourtant à l’état d’application technique, d’enjeux commerciaux ou construisent des mythes scientistes qui nous maintiennent dans une pensée pauvre et des habitudes destructrices de notre écosystème. Le grand travail du début du 21ème siècle, disait le généticien Albert Jacquard, serait de digérer toutes ces nouvelles connaissances, de les comprendre et de nous les approprier pour réinterroger nos propres paradigmes culturels.
Lorsque l’on entame ce travail de digestion, on touche à l’émerveillement, à des angoisses cachées, à une forme de vertige. Notre socle intime est remis en question, ses habitudes et ses évidences. Je recherche ce vertige au théâtre, cette poésie propre à la science capable d’ouvrir sur une perception nouvelle et donc critique de soi, au sens d’un moi qui se métamorphose en fonction des différents contextes qu’il rencontre, tout en conservant une forme d’unité (Nietzsche). La qualité première du théâtre est d’être un miroir capable de nous rapprocher de nous-même, tout en nous en distanciant afin de créer la possibilité d’une brèche, d’une connaissance sensible de cet étranger que nous sommes pour nous-même. La singularité de mon travail repose sur ma capacité à provoquer un déplacement métacognitif de la conscience du spectateur. Amener ce dernier à observer ses propres mécanismes cognitifs non conscients, pour réinterroger le sens qu’il croyait détenir de sa propre histoire. Un vertige comparable, peut-être, à celui qu’ont pu ressentir d’autres êtres humains à une autre époque lorsque, contrairement à ce qu’ils voyaient et à ce qu’ils avaient toujours cru, on leur a démontré que la Terre n’était pas plate mais ronde.
Nos sociétés « addictes » à l’immédiateté ne confrontent pas assez les découvertes scientifiques actuelles et leurs croyances. On ne mesure plus cet écart « poétique » entre ce que nous croyons être et ce que la science, la discipline la plus objective qu’ait créée l’être humain pour tendre vers le « vrai » sans jamais l’atteindre, nous propose. Or, je crois que c’est dans la conscience de cet écart que résident aujourd’hui notre libre-arbitre, notre capacité à nous repenser et notre survie.