J’aime que le spectateur et la spectatrice aient une place centrale dans le spectacle et que la fable leur soit donnée pleinement et dans toute sa complexité. Dans cette pièce, certaines références mythologiques pourraient échapper aux spectateur·rices et les tenir ainsi à distance. Et je veux au contraire créer une relation de complicité entre les acteur·rices et le public. C’est pourquoi, l’acteur·rice pourra alors se comporter comme un intermédiaire-narrateur·rice et créer des ponts entre la fable et les auditeur·rices. Dans Reflets d’un banquet, j’avais déjà travaillé à transmettre une langue et une culture passées pour la faire résonner avec notre époque. Et je souhaite poursuivre ce travail avec Phèdre.
Si des références mythologiques ou historiques viennent à manquer, l’acteur·rice pourra se permettre de passer de la poésie à la prose, afin d’expliquer son personnage, son enjeu, son désir. Soit avant la prise de parole soit pendant la prise de parole en alexandrins. En le faisant sur le mode d’un Denis Guénoun dans La lettre au directeur du théâtre, les personnages auraient à la fois un retour sur eux-même pour expliquer leurs motivations et en même temps pourraient juste après s’abandonner complètement à l’émotion du texte. Le·La spectateur·rice sera également placé·e dans un rôle de confident·e. Les personnages leur confieront leurs secrets, les consulteront et les interrogeront, comme dans cette scène où Phèdre vient d’apprendre l’amour d’Hippolyte pour Aricie :
“Ils s’aiment! Par quel charme ont-ils trompé mes yeux?
Comment se sont-ils vus ? Depuis quand ? dans quels lieux?
Tu le savais. Pourquoi me laissais-tu séduire?”
J’aimerais faire des allers-retours entre le Phèdre de Sénèque et celui de Racine. La prose de Sénèque est crue et met en évidence l’extrême violence de cette fable. Cela permet de se rappeler que derrière l’alexandrin de Racine, la réalité décrite est aussi brutale. Il ne faut pas se laisser bercer par une musique apparemment harmonieuse de l’alexandrin, mais au contraire, aller à l’enquête de tout ce qui trahit le débordement, et le feu dévorant qui consume les personnages. Car Racine malmène l’alexandrin : ruptures rythmiques, enjambements, rejets, allitérations, diérèses sont autant d’indices musicaux et rythmiques du désordre émotionnel dans lequel les personnages sont plongés.